décembre 2019

Christian Boltanski
Faire son temps

J’ai toujours pensé que, jeune, Christian Boltanski avait le regard malicieux.
Elève dissipé et peu assidu, enfant “spécial” comme il aime à se définir, maintenu dans un cocon familial protecteur et dévorant, Boltanski avait pourtant déjà le regard profond de ceux à qui on en a trop raconté.

 

Né le 6 septembre 1944 à Paris, onze jours après la libération, dans une famille marquée par la guerre, il porte en lui, depuis plus de 70 ans, les âmes de la Shoah.
Volontairement, il ne les a jamais représentées, mais son travail transpire le deuil, le souvenir, la mémoire et le temps.

 

Conçue comme un chemin, cette exposition mériterait de ne pas s’expliquer, mais de se ressentir.
Accueilli par l’enseigne lumineuse “Départ”, on est projeté dans un parcours de vie boltanskiesque. Sans même s’en rendre compte, on passe de l’enfance trop peu insouciante à une vieillesse consciente de sa fin.
Les visages sont partout, photographiés, projetés, classés, sous-entendus.
Des anonymes, dont les regards et les sourires luttent contre l’oubli.

 

La pénombre nous enveloppe et favorise le silence et le recueillement.
Une ampoule clignote au rythme des battements de 70.000 cœurs japonais.
Des dates sur le mur pour se rappeler des gens qu’on a aimés, des tissus qui dévoilent un corps, un crépuscule d’ampoules, un théâtre d’ombres…
50 installations comme autant de témoignages.

Quand Boltanski s’éloigne de ses fantômes humains, c’est pour se perdre dans un monde où le vivant a laissé son empreinte. Hypnotiques, les esprits-clochettes dansent dans le désert d’Atakama et où les chants factices des baleines bercent le reflux des vagues.
Particulièrement touchantes, ces grandes vitrines où, en vrac, Boltanski réunit en 2001 les étiquettes, mots, photos, tickets, lettres, cartes postales, listes et cahiers, reconstitution de sa vie avec ce titre dérisoire « La Vie Impossible de CB ».

 

Elle n’est pas si impossible la vie de CB.
Il a rangé les démons au placard, un peu.
Certes, la mort est omniprésente, mais elle nous prend par la main, nous rassure, et donne un sens à cet espace entre naissance et décès, entre départ et arrivée.

 

Pour finir, on passe un dernier sas sombre.
Au bout l’arrivée lumineuse.
On s’en est bien sorti.